Argumentaire de la pétition

Contexte

Le nombre de mises en circulation de véhicules à traction intégrale (appelés communément « 4×4 »[1]) était d’un peu plus de 54’000 en 2000[2]. Il a grimpé à près de 150’000 en 2017. Le nombre total de mises en circulation pour 2000 comme pour 2017 est quasi identique, autour de 315’000 unités2. Les Suisses achètent donc 3 fois plus de ces véhicules qu’il y a 20 ans, si bien que selon la RTS, en 2018, 49% des nouveaux véhicules achetés étaient des 4×4. En 2019, La Suisse possède ainsi le taux de véhicules individuels à traction intégrale le plus élevé d’Europe[3].

Problématique

La problématique environnementale liée aux véhicules surdimensionnés se situe à deux échelles : globale et locale. Deux autres classes d’impacts concernent l’emprise d’espace en milieu urbain et la menace à la sécurité des autres usagers. Ces quatre catégories vont être abordées dans ce présent document.

Impact environnemental global

Le poids, la taille des roues, la traction intégrale et la morphologie faiblement aérodynamique de ces véhicules en augmente fortement la consommation et les émissions de gaz à effet de serre. L’Office fédéral de l’Energie relève à ce titre que « L’augmentation de la consommation et des émissions de CO2 est notamment due à l’augmentation du poids du parc des véhicules neufs, à la part des 4×4[4] […] ». Ces véhicules consomment en moyenne jusqu’à 10% de plus qu’une berline classique[5] et si l’on se fie aux informations des constructeurs, la catégorie de véhicules dits « SUV » émet en moyenne 130g de CO2/km[6]. Toutefois, selon les nouvelles procédures de test en vigueur, ces chiffres pourraient même être en fait supérieurs de 25 à 40%[7]. Selon l’Agence internationale de l’Energie (AIE, 2019), les progrès réalisés pour rendre les moteurs plus propres ces dernières décennies ont de ce fait été totalement annulés par le nombre croissants de SUV en circulation.

D’ailleurs, selon l’AIE, la mode du SUV a désormais placé ce type de véhicules au deuxième rang des plus gros contributeurs à la hausse des émissions globales de CO2 depuis 2010, devant l’industrie lourde, le transport aérien et le fret maritime.

La limite actuelle d’émissions moyennes de CO2 de 130g/km n’est pas respectée en Suisse, et l’objectif des 95g/km pour la fin 2020 ne paraît pas atteignable dans le contexte actuel. La faîtière des importateurs Auto-Suisse admet elle-même que c’est la forte demande en 4×4 des suisses qui empêche d’atteindre ces buts[8].

Ces véhicules sont souvent surmotorisés : en Suisse, la moitié des nouvelles mises en circulation concernent des véhicules dont la cylindrée est supérieure à 1800 cm3. Et la puissance des véhicules a augmenté : les nouvelles voitures de tourisme dont la puissance est supérieure à 270 CV sont passées de 3% à 17% entre 2005 et 2017[9].

Le piège du SUV électrique

Contrairement à ce qu’affirment les importateurs d’automobiles et les lobbies routiers en Suisse[10], l’électrification des véhicules ne résoudra en rien le problème : on peut en effet craindre une explosion de la demande en électricité en Suisse si la mode du SUV se poursuivait parallèlement au remplacement du parc automobile actuel en un équivalent à propulsion électrique. Les SUV électriques qui arrivent sur le marché souffrent des mêmes désavantages physiques que leurs prédécesseurs thermiques : leur manque d’aérodynamisme et leur surpoids les rendent très gourmands en énergie et nécessitent des batteries lourdes et volumineuses pour garantir une autonomie correcte. La consommation d’énergie d’un véhicule électrique peut ainsi passer du simple au double en fonction de la masse du modèle[11].

Le SUV électrique risque donc fort de devenir une illustration typique de ce que l’on appelle l’effet rebond, qui est un mécanisme par lequel une nouvelle technologie considérée comme « propre » accroît son taux d’utilisation et par ce fait en annule les bénéfices. En effet, un consommateur ayant acquis un véhicule électrique sera tenté de délaisser d’autres modes plus durables et plus efficaces en ville, tels que les transports publics, le vélo ou la marche. Le problème de la congestion des villes par le trafic n’en sera qu’accru. En Norvège, les voies réservées aux véhicules électriques sont aujourd’hui tout autant encombrées que les voies classiques.

Quel que soit le mode de propulsion, la prolifération des véhicules surdimensionnés, qui gaspillent une énergie considérable à tracter rien d’autre que leur propre poids, est donc une aberration dans un contexte de transition énergétique à venir. Pour cette raison, les véhicules surdimensionnés électriques sont également visés par cette pétition.

Impact environnemental et sanitaire local

Au niveau local, les véhicules 4×4 massifs participent, par leur consommation élevée, à la pollution de l’air, à fortiori dans les villes, où malgré une amélioration générale, des pics de concentrations de polluants nocifs à la santé sont encore régulièrement constatés, notamment à Lausanne.

Pour rappel, en Suisse, 30 à 40% de l’ensemble de la population est exposée à des niveaux de particules fines (PM) dépassant la valeur limite, y compris dans la région lausannoise, et ce plusieurs jours par hiver[12]. Le dioxyde d’azote (NO2 ou NOx) est quant à lui responsable de cancers, asthme et maladies cardiovasculaires. Essentiellement produit par les moteurs à diesel (10x plus de NO2 qu’un moteur à essence), ce gaz aurait causé, en 2012, 950 décès prématurés en Suisse[13]. Les valeurs limites sont également régulièrement dépassées dans les villes. L’ozone finalement, est un gaz très irritant, responsable de 200 à 300 décès prématurés par an en Suisse, selon l’OFEV. Les pics d’ozone ont lieu plutôt l’été, notamment lors de fortes chaleurs. Là encore, la ville de Lausanne n’a pas été épargnée lors de la dernière canicule.

Que les citoyens ne puissent se livrer à des activités sportives en plein air toute l’année sans danger est tout de même regrettable pour une ville qui se déclare « Capitale Olympique », ou encore « Commune amie des Enfants ». Prendre des mesures d’urgence lorsque la limite des particules fines ou des gaz nocifs est déjà dépassée n’est pas suffisant. Le plan OPair de l’agglomération Lausanne-Morges a certes apporté quelques améliorations, mais pas encore suffisantes, notamment lors des épisodes météorologiques défavorables.

Impact urbanistique

Les véhicules surdimensionnés sont problématiques en ville par l’espace excessif qu’ils occupent, aussi bien en circulation qu’en stationnement. Les rues de Lausanne sont encombrées de ces véhicules à l’allure étatsunienne, comme un affront fait à une Cité qui avait pourtant été pionnière en matière de mobilité en mettant en service le premier métro de Suisse. A l’heure où les villes sont encouragées à se densifier, et alors que Lausanne développe de nouvelles infrastructures de transports publics et de mobilité douce, il est hors de toute logique que de laisser circuler en ville des modes de transports qui accaparent tant d’espace pour déplacer si peu de gens.

Impact sécuritaire

La morphologie hypertrophiée des SUV et autres 4×4 massifs n’en fait pas seulement des ennemis du climat ou de la qualité de l’air. Elle constitue également une menace directe pour les autres utilisateurs de la voie publique : les cyclomotoristes, les cyclistes, les piétons, mais aussi et surtout les enfants, aux abords des écoles et dans les rues résidentielles, où manœuvrent avec peine ces engins disproportionnés.

Selon la revue Traffic Injury Prevention, en cas de collision entre deux véhicules, les occupants du plus petit ont davantage de risques d’être blessés[14]. Et contrairement à ce que l’on pense habituellement, l’occupant du SUV n’est pas davantage en sécurité : selon des données du gouvernement américain, un conducteur de SUV aurait un risque 11% plus élevé de mourir lors d’un accident qu’un individu au volant d’une voiture « normale »[15]. Selon la même source, le centre de gravité élevé de ces engins les rendrait nettement plus susceptibles de se retourner en cas d’accident, augmentant ainsi le risque de blessures pour ses occupants. Ces véhicules ne garantissent donc pas une plus grande sûreté d’usage, comme voudraient le faire croire les constructeurs.

D’un point de vue ergonomique, on peut relever que leurs dimensions larges et leurs angles morts, additionnés à une hauteur de caisse surélevée, rendent ces véhicules partiellement aveugles face à certains obstacles pouvant se trouver alentours. Si cette morphologie peut s’avérer avantageuse en montagne, en milieu urbain elle constitue avant tout un danger pour les enfants et d’autres personnes vulnérables.

Finalement, des études sérieuses ont démontré que le sentiment de sécurité et de fiabilité ressenti par celui ou celle qui conduit un véhicule surdimensionné l’amènerait à prendre davantage de risques au volant pour lui et les autres usagers.[16]

Constat et conclusion

Les quelques constatations faites ici démontrent donc une chose : le parc automobile suisse est constitué de véhicules trop gros et trop gourmands en énergie. Il s’est développé à l’inverse de toute logique de rationalité, d’économie de ressources et au mépris de toutes les recommandations et avertissements de santé publique. Une offre pléthorique de véhicules à priori réservés à des usages professionnels et/ou en zone escarpées, a été vendue à grands renforts de publicité à des consommateurs qui n’en ont en réalité nul besoin, puisque plus de 80% de la population suisse vit dans des espaces à caractère urbain[17].

Résultat : une quantité considérable du carburant consommé est désormais dédiée uniquement à mettre en mouvement une masse de matériaux inertes à l’énergie grise colossale, dont un tiers suffit pourtant déjà à transporter 4 Homo Sapiens de poids moyen. On prend encore davantage conscience du gâchis lorsqu’on apprend qu’en Suisse, le taux moyen d’occupation par voiture est de 1.56 passager[18].

Dans le contexte actuel et à fortiori en zone urbaine, nul argument prétendu de confort, de sécurité ou de liberté n’est recevable pour justifier l’usage d’un véhicule de 2 tonnes là où un autre modèle plus léger fera le même travail.

Les signataires estiment donc que les véhicules surdimensionnés et surmotorisés sont inutiles en-dehors de certains usages professionnels et doivent dans tous les cas rester à l’extérieur des villes, où ils représentent un danger supplémentaire pour les piétons et les cyclistes et viennent encombrer un espace déjà trop souvent congestionné par le trafic motorisé. Le Canton de Vaud et Lausanne devraient, selon eux, faire figure d’exemple et saisir l’occasion de concrétiser leurs récentes déclarations de l’urgence climatique en favorisant des modes de mobilité plus rationnels.

Il est évident qu’une commune ne peut agir que dans le cadre de ses compétences propres. Mais des mesures, telles qu’une surtaxe voire une interdiction de stationnement sur l’espace public pour ces véhicules serait un signal clair donné aux consommateurs et aux importateurs. Lausanne pourrait devenir un laboratoire de test pour les mesures politiques à plus large échelle qui seraient nécessaires afin de dissuader efficacement l’achat et l’usage de ces engins.

Références et notes

[1] Précisions terminologiques : Un véhicule « 4×4 » dit « Tout-terrain » possède en général des ponts indépendants, 4 roues motrices (traction intégrale) permanentes et un blocage du différentiel. Un SUV (« Sport Utility Vehicle ») est un mélange entre un 4×4 et un monospace. Un « Crossover » est un croisement entre un 4×4 et une berline. SUV et Crossover ont généralement des modes 4 roues motrices non-permanents, et contrairement à un vrai 4×4, ne permettent pas de sortir des chaussées carrossables. Ils sont vendus comme tel pour donner un sentiment de liberté à leur acheteur, mais sont essentiellement utilisés en zone urbaine ou péri-urbaine. Le SUT (« Sport Utility Truck ») est plus connu sous le nom de Pick-Up. Cette pétition concerne ces 4 types de véhicules sans distinction, car leur morphologie en fait dans tous les cas des moyens de transport inadaptés en ville pour des particuliers.

[2] OFS (2018) Nouvelles mises en circulation de véhicules routiers selon le canton et les caractéristiques techniques.  

[3] https://www.24heures.ch/suisse/suisse-4×4-ultrapolluants/story/25537943

[4] OFEN, 2018.

[5] Fanen, S. (2019) SUV, le gros du pavé. In lesjours.fr. 26.06.2019

[6] Ces chiffres datent de 2017 et sont issus des protocoles de test NEDC (New European Driving Cycle) en vigueur depuis 1973, avant la généralisation du nouveau protocole de test WLTP (Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedure), nettement plus précis et plus représentatif de la réalité que le premier.

[7] Foulon, C. (2019) Décryptage mobilité. Cabinet de conseil Carbone 4. Consulté sous : https://mailchi.mp/carbone4/news-decryptage-mobilite-11

[8] https://www.letemps.ch/economie/suisse-pourrait-deroger-norme-co2-vehicules 

[9] OFS/OFROU In https://www.rts.ch/info/suisse/9391592-le-parc-automobile-suisse-toujours-plus-puissant-mais-moins-polluant.html (2018) 

[10] Voir notamment l’avis du Président d’Auto-Suisse dans cet article du journal Le Temps, paru le 17.10.2019. « Les « sport utility vehicles » risquent de tuer les efforts de l’électrique » https://www.letemps.ch/economie/sport-utility-vehicles-risquent-tuer-efforts-lelectrique

[11] Lara, H. (2019) La consommation d’une voiture électrique. Automobile Propre.

[12] Municipalité lausannoise (2017). Rapport-préavis N°2017/58 

[13] ATE, 2013.

[14] Monfort, S., Nolan, J. (2019) Trends in aggressivity and driver risk for cars, SUVs, and pickups : vehicle incompatibility from 1989–2016. Traffic Injury Prevention.

[15] Hakim, D. (2004) Safety gap grows wider between S.U.V.’s and cars. New-York Times. 17.08.2004

[16] Walker et al. (2006) British Medical Journal et Peltzman (1975) Journal of Political Economy.  

[17] Selon l’OFS (2018) « En 2016, la part de population vivant dans un espace à caractère urbain atteint 84,6% ». 

[18] OFS (2017) Recensement Micromobilité et Transport. 

One thought on “Argumentaire de la pétition”

  1. Il est vrai qu’aujourd’hui plus que jamais ces véhicules doivent être bannis. Combien de ces véhicules en font une utilité nécessaire !!!
    Pollueur Payeur doit être le but de nos politiques, au lieu de prévoir une hausse du carburant qui impacterait tout le monde, y compris ceux qui font l’effort d’acheter des véhicules plus écologiques. Surtout que ces gens ne vont pas être impactés par une hausse du prix, ils s’en balancent.
    Combien de ces gros 4×4 surdimensionnés vont déposer leur gosses devant les écoles tout en laissant bien souvent tourner leur moteur. Ces comportements doivent être sanctionnés. Mais un tel marché financier serait impacté que nos politiques préfèrent fermer les yeux.

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